LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT ABDOULAYE WADE
Vous y croyez vraiment, maître ?
Par Saliou Samb
Cher maître Wade, je vous adresse ces quelques mots pour papoter un peu avec vous, loin des résultats farfelus de Serigne Mbacké Ndiaye ou de Farba Senghor, du bruit infernal des meetings politiques et du vacarme provoqué par les apprentis sorciers de tous bords. C’est vrai que vous n’êtes pas obligé de m’écouter, mais vous serez mal avisé d’ignorer mes remarques dans ce style bien à vous qui a causé votre perte. Avant de débuter mon propos, maître Wade, il me paraît important de dénoncer l’attitude pathétique de tous ceux qui, autour de vous, vous ont fait croire au père Noël durant cette éprouvante campagne électorale. Ce sont eux les traîtres ! Et je m’en explique.
Enfant, du temps de Léopold Sédar Senghor, lorsque les classiques de Jean de Lafontaine étaient encore rigoureusement enseignés, la fable du corbeau et du renard nous invitait à plus d’humilité dans notre misérable vie. Oui, maître, tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute ; vous l’avez oublié, aujourd’hui vous l’apprenez à vos dépends.
A présent, face à la froideur des résultats réels sur le terrain, que valent les gesticulations d’un Serigne Mbacké Ndiaye, les sorties hasardeuses d’un Farba Senghor ou les explications abracadabrantes d’un Iba Der Thiam devant la puissance et la fermeté de la voix du peuple ? Un score provisoire de 32,17%, vous l’avez reconnu vous-même ! Où sont les 53% qu’on vous avait promis « dès le premier tour » pour vous permettre de terminer vos « chantiers » ? Que vous a rapporté cette interprétation à géométrie variable de la nouvelle Constitution sénégalaise dont vous dites être l’inspirateur et dans laquelle vous juriez, face caméra, que vous aviez « bloqué les mandats – présidentiels - à deux » et que pour vous il n’était pas question de vous représenter en 2012 ? Que vous coûte aujourd’hui le départ de tous ces compagnons de lutte pour le Sopi, tout ce pouvoir remis à votre seul fils dans le but d’en faire, en vain, un individu respectable et surtout respecté des Sénégalais ? Que vaut en définitive votre appel lancé au dictateur Mohamar Kaddafi depuis Bengazi, « les yeux dans les yeux » et dans la foulée à Laurent Gbagbo, invitant tous les deux à quitter le pouvoir ? D’ailleurs qu’est-ce qui vous a pris durant toutes ces années de présidence passées à vouloir imposer votre fils à vos compatriotes, là où le bon sens vous commandait de préparer sereinement, dans votre parti, un dauphin qui aurait pu rectifier dans le bon sens ou poursuivre votre œuvre personnelle ?
« Ceux qui peignent les paysages se tiennent dans la plaine pour considérer la forme des montagnes et des lieux élevés ; et pour examiner les lieux bas, ils se juchent sur les sommets. De même, pour bien connaître la nature des peuples, il faut être prince ; pour connaître les princes, être du peuple », disait Nicolas Machiavel. Vous, l’homme du peuple, maître Wade, vous vous êtes terriblement mépris, par vanité et par orgueil, sur l’affection que les Sénégalais vous portent. Je crois que le plus grave dans votre démarche, c’est que durant vos années de règne, je n’ai jamais eu l’impression que vous avez réussi à prendre de la hauteur par rapport aux événements et aux crises que vous avez eu à gérer.
A vrai dire, maître Wade, jamais je n’aurais imaginé un seul instant, au crépuscule de votre vie politique, après vos 26 ans passés dans l’opposition récompensés par 12 ans au pouvoir, que vous en seriez là, sans voix, le regard perdu, cherchant pour justifier votre démarche insensée à vous accrocher aux bras d’insignifiants flagorneurs comme ceux dont vous avez fini par aimer la compagnie.
Maître Wade, votre aveuglement vous a conduit à ruiner votre image auprès de générations d’Africains qui ont tant cru en vous. Vous avez anéanti leurs espoirs placés en votre personne en tentant de manière cavalière, à plus de 86 ans, de vous accrocher à un pouvoir usé, discrédité et décrié. Wax waxett (Ndlr : j’ai dit, je me dédis ! en langue Wolof), qu’est-ce qui vous a pris de plomber ainsi votre campagne électorale et ce qui vous restait de votre capital crédit ?
Attaqué et critiqué de toutes parts dans la perspective d’un second tour, rejeté en bloc par ceux qui ont catégoriquement refusé de voter pour vous (plus de 60% de l’électorat au moins), vous vous obstinez aujourd’hui à continuer à faire dans la diversion, en entretenant l’illusion d’une possible réélection. Franchement Maître, vous y croyez vraiment ?
Maître Wade, je ne vous apprends pas qu’il est très important pour un homme politique de savoir décrypter les signaux négatifs, surtout en fin de règne. Tout comme cela vous a été démontré au premier tour, si vous persistez à vouloir coûte que coûte faire durer un suspense qui n’en est pas un, vous ne susciterez que plus de rejet encore et plus de colère. Aucune œuvre humaine n’est parfaite et de ce point de vue, il vous appartient de tirer les conséquences de votre retentissant échec personnel en prenant la bonne décision qui s’impose désormais à vous. Au premier tour, j’ai l’impression que vous avez seulement été égratigné et ramené fort justement à la raison. Au second tour, soyez convaincu que vous serez humilié.